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lettres capitales, et encore en avait-il oublié quelques-unes. Les lunettes, par conséquent, lui servirent peu. Sylvia, qu’il appelait volontiers à son secours, ne lui était guère plus utile, car il lui fallait épeler un mot sur quatre, et comme ces mots étaient précisément les plus longs, les plus incompréhensibles pour son auditeur stupéfait, cette espèce d’enseignement mutuel ne donnait que de fort médiocres résultats. Réduit à son expérience personnelle, Kester néanmoins se figurait volontiers que toutes choses allaient à souhait, lorsqu’un beau jour — tandis que Sylvia et lui, assistés de Dolly Reid, dressaient les meules de foin dans une prairie nouvellement fauchée, — sa jeune maîtresse l’interpella tout à coup :

« À propos, Kester, je ne t’avais pas dit ?… Nous avons reçu hier soir une lettre de M. Hall, l’intendant de lord Malton… Philip m’en a donné lecture… »

Là-dessus, elle s’arrêta.

« Bien, ma fille… Philip te l’a lue… Et que disait cette lettre ?

— Peu de chose, en somme, si ce n’est qu’on lui a fait des offres pour la ferme de Haytersbank, et que ma mère serait libre de partir aussitôt après la rentrée de la moisson. »

Ceci ne fut pas dit sans un léger soupir.

« Tiens, tiens ! et pourquoi cette proposition de vous en aller avant que vous en ayez manifesté le désir ? observa Kester vivement froissé.

— Que veux-tu ? répliqua Sylvia, jetant sa fourche comme si elle était lasse de vivre… Comment exploiterions-nous une ferme aussi considérable ?… Si c’étaient des prés, encore passe, mais il y a tant de culture… Ah ! tiens, ajouta-t-elle allant au-devant des reproches qu’elle lisait déjà sur ses lèvres… épargne-moi tes censures… N’était ma mère, j’aimerais autant être morte.