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répondre. La jeune fille avait assez à faire de retenir ses larmes, et ce fut Philip qui leur vint en aide.

« Tante, dit-il, l’horloge est arrêtée… Si vous pouvez m’indiquer où est la clef…

— La clef, la clef, répondit-elle à mots précipités, elle est sur ce rayon, derrière la grosse Bible… Mais il vaudrait mieux n’y pas toucher, mon garçon… C’est le maître qui se charge ordinairement de remonter l’horloge… Il n’aime pas que d’autres s’en mêlent… »

Ainsi divaguait la pauvre veuve, faisant sans cesse allusion à son défunt mari dont elle parlait comme d’un absent, et trouvant toujours à cette absence des motifs plausibles, que lui fournissaient d’ailleurs volontiers les personnes de son entourage. Suivant les dispositions où ils la voyaient, et accordant leurs dires aux caprices de sa raison égarée, tantôt Daniel était parti pour Monskshaven, tantôt il travaillait aux champs, ou bien, accablé de fatigue, il était remonté dans sa chambre pour se jeter sur son lit. Bell acceptait et croyait tout. C’était à coup sûr un grand bonheur pour elle, que cet oubli complet du passé, cette méconnaissance du malheur présent. Mais la douleur de Sylvia s’en trouvait aggravée, car sa mère ne pouvait plus lui donner ni une consolation, ni un secours quelconques. Cet isolement la poussait de plus en plus vers Philip, dont l’affection et les conseils lui devenaient chaque jour plus nécessaires.

Kester se doutait bien, — mieux que Sylvia elle-même, — du dénouement inévitable qu’allait amener tout ceci, et son impuissance à parer le coup prévu semblait aigrir chaque jour son humeur. Mais il n’en travaillait pas moins de toutes ses forces dans l’intérêt de la famille, et acheta même une paire de lunettes neuves pour pouvoir consulter plus utilement le « Guide complet du Fermier, » ce vade mecum de son défunt maître. Par malheur il n’avait jamais connu que les