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sembla n’avoir plus besoin de rien. Elle le trouva occupé en apparence à contempler, par-dessus la barrière du champ voisin, la volaille éparpillée qui becquetait à plaisir les jeunes gazons. Ce n’était pas là un spectacle qui dût absorber ses pensées, et pourtant il ne se retourna que lorsque sa jeune maîtresse, posant la main sur son épaule, l’eut interpellé directement.

« Pourquoi, lui disait-elle, n’es-tu pas venu au-devant de nous ?

— Je ne sais ; ne me le demandez pas… Contentez-vous de savoir l’aventure de Dick Simpson… »

On se souvient peut-être de Simpson, l’acolyte de Hobbs ; et si on n’a pas oublié son entretien avec Robson, immédiatement après l’incendie du Randyvow, on se rendra compte de l’importance du témoignage par lui porté contre le malheureux fermier de Haytersbank.

« Que lui est-il arrivé ? dit Sylvia dressant l’oreille.

— Quand il est rentré à Monkshaven, reprit Kester d’un ton satisfait, on lui a servi un fameux régal composé d’œufs et de cailloux… sans trop s’inquiéter, ajouta-t-il en souriant, si les œufs étaient gâtés, ou si les pierres étaient dures… »

Sylvia se taisait ; mais ses lèvres étaient serrées, son front avait pâli, ses yeux lançaient des éclairs.

« J’aurais voulu être là, dit-elle enfin avec une respiration frémissante… J’aurais voulu, moi, aussi lui faire du mal… Et l’expression de son visage était telle, en ce moment, que Kester sentit le cœur lui manquer.

— Allons donc, fillette !… Laisse faire aux autres !… Ne te tourmente pas à propos de pareilles canailles… J’ai eu tort de te parler de lui.

— Pas le moins du monde, mon bon Kester… Les amis de mon père seront à jamais mes amis… Mais quant à ceux qui ont causé sa mort, qui l’ont fait monter à la potence (ce dernier mot la fit frémir de la tête aux