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conduite de Philip ; il a supposé qu’un valet de ferme, assez irrégulièrement payé vu les circonstances, ne pourrait se passer longtemps de ses économies. Mais en cette circonstance comme en bien d’autres, il a manqué d’un certain tact, d’une certaine délicatesse, et n’a pas su se concilier le bon vouloir de l’honnête Kester. Y fût-il parvenu en s’y prenant autrement ? Peut-être est-il permis d’en douter.

Quoi qu’il en soit, le serviteur des Robson ne put voir sans dépit, sur le sentier escarpé qui menait à la ferme, trois personnes au lieu de deux, et sa maîtresse à peine remise du mal qui jusqu’alors l’avait retenue dans la ville d’York, étayer au bras de Philip ses pas encore chancelants. Sylvia, de l’autre côté, soutenait aussi sa mère et les deux jeunes gens échangeaient par-dessus la tête de Bell quelques-uns de ces propos familiers auxquels toute timidité, toute réserve sont naturellement étrangères. Rien de plus simple, rien de plus facile à concevoir, puisque après tout le jeune cousin restait le seul protecteur de cette famille privée de chef. Mais le pauvre Kester, qui dans le secret de son cœur s’était attribué cet office, ne s’en regardait pas moins comme lésé dans ses droits, et au lieu d’aller au-devant de ses deux maîtresses, il se réfugia, mécontent et boudeur, au fond de son étable chérie.

Occupés avant tout de Bell Robson, de son agitation fiévreuse, des refus qu’elle opposait à leurs soins, les deux jeunes gens ne parurent pas prendre garde à l’absence du valet de ferme. Sylvia l’avait néanmoins remarquée, et qui plus est, — sans pouvoir se rendre un compte exact de ses sentiments, — elle comprenait vaguement les mobiles de son étrange conduite. Aussi, éludant les tentatives de Philip qui semblait vouloir l’entretenir en particulier avant de repartir pour Monkshaven, se mit-elle à chercher Kester dès que sa mère lui