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— Je le sais, reprit Bell, et, d’un autre côté, il me semble que si le Seigneur m’a délivrée de toute crainte, ce n’est pas pour abuser mon cœur… Il ne voudra pas rompre cette union par lui cimentée… Mes rêves m’ont dit que si Daniel venait à mourir, je ne serais pas condamnée à lui survivre longtemps… Comment, lui parti, mènerais-je la maison ?…

— Mais moi, moi ? gémissait Sylvia, tu oublies que j’existe, ma pauvre mère… Pense à ta fille, à son avenir !…

— Et me crois-tu donc capable de n’y pas songer, chère enfant ?… Tu n’as donc pas deviné les soucis dont j’étais rongée l’hiver dernier, au sujet de ce Kinraid ?… Maintenant, au contraire, que Philip et toi vous semblez d’accord… »

Sylvia frissonna et ouvrait déjà la bouche pour répondre, mais elle n’articula pas une seule parole.

« Maintenant que je sais ton sort assuré, je suis prête à suivre Daniel, si Dieu nous l’enlève…

— Cela ne sera pas, s’écria Sylvia, tout à coup relevée. Cela ne sera pas, Philip en est convaincu. »

Bell ne répondit qu’en secouant la tête, et les deux femmes se remirent en marche, Sylvia découragée et en même temps presque irritée par l’abattement où elle voyait sa mère. Mais avant la nuit, Bell semblait avoir perdu de vue toutes ses tristes pensées. Cette formule : « Quand ton père sera ici, » se retrouvait invariablement au début ou à la fin de tous les propos qu’elle adressait à sa fille, et celle-ci lui aurait demandé la raison de ce brusque changement, si elle n’eût été avertie, par un secret instinct, qu’il tenait chez sa mère à un affaiblissement déjà notoire de ses facultés mentales.

Comment passa le lundi, Dieu le sait. Mais, dès le mardi matin, à la pointe du jour, Bell était en l’air, plus vive et plus joyeuse que jamais.