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« Ne me rappelle jamais ces choses, vois-tu bien !… Ne prononce jamais le nom de…

— Je me couperais plutôt la langue, » interrompit-il.

Et il tint parole.

Philip, dans toutes ces allées et venues qui le rappelaient fréquemment à la ferme, ne reparlait plus de son amour. Il avait l’attitude, le langage du frère le plus tendre, mais rien au delà ; — ses craintes toujours croissantes ne lui laissaient pas d’autre alternative. Les prévisions de M. Donkin ne se trouvaient que trop vérifiées. Le gouvernement avait pris à cœur l’affaire du Randyvow, et semblait regarder comme absolument nécessaire que l’on fît enfin prévaloir une autorité trop souvent bravée. Ses agents inférieurs, charmés d’être soutenus, rivalisaient de zèle, afin qu’un exemple saisissant vînt terrifier les fauteurs de rébellion. À cet exposé menaçant, l’avocat chargé de défendre Daniel Robson ajoutait des détails qui venaient augmenter encore les craintes de Philip. Daniel s’obstinait à ne pas comprendre les périls de sa situation ; il semblait vouloir se perdre, de propos délibéré, par mille récriminations insensées contre les excès de la press-gang, et surtout contre l’odieux stratagème dont elle avait fait usage à Monkshaven, dans cette nuit fatale où s’étaient commis les désordres qu’on l’accusait d’avoir provoqués. Un pareil système de défense devait exaspérer les magistrats, et peut-être, — cela s’était vu, — faire interdire la parole au représentant de l’accusé.

Philip se gardait bien de communiquer ces navrants détails aux deux femmes dont il s’était constitué le protecteur. La santé de Bell allait s’affaiblissant tous les jours, et un voyage de vingt miles, comme celui d’York, était, lui disait-on, au-dessus de ses forces. Il ne fallait y songer pour elle que dans le cas le plus extrême, si son mari venait à être condamné. Sylvia et Philip, sur ce