Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre fois, ma petite, retiens ta langue jusqu’à ce qu’on te demande ton avis ! »

Ces vivacités de langage lui étaient si peu habituelles vis-à-vis de sa fille, que les yeux de celle-ci se remplirent de larmes et qu’on vit frémir ses lèvres émues. Philip, à qui n’échappait aucun de ces symptômes, s’apitoyait intérieurement sur elle, et se hâta d’aborder un autre sujet, pour la délivrer d’une attention importune ; mais Daniel n’était pas d’humeur causante, et la conversation continua comme elle put, alimentée tant bien que mal par Bell et par Kester qui venait charitablement au secours de sa maîtresse.

Sylvia, remontant à petit bruit dans sa chambre, se jeta sur son lit et se mit à sangloter. Assis au pied de l’escalier et l’oreille au guet, Philip ne perdait pas un seul de ses gémissements contenus. Que n’eût-il pas donné pour lui adresser quelques paroles de consolation ! Mais il fallut continuer à parler de choses et d’autres jusqu’au moment où Daniel, épuisé de fatigue, laissa échapper quelques mots qui valaient un congé formel. Sa femme aurait bien voulu causer en particulier avec Philip, mais le vieux fermier déjoua toutes ses tentatives à cet égard en persistant à reconduire lui-même jusqu’à la porte son malencontreux visiteur. À son tour, Kester reprit le chemin de l’étable où il couchait, et lorsque Daniel fut remonté dans sa chambre, Bell s’occupa d’éteindre le feu. Ce soin l’absorbait encore lorsqu’elle crut entendre, malgré le bruit qu’elle faisait elle-même, gratter légèrement aux vitres de la croisée. Dans la situation d’esprit où elle se trouvait, ce signal la fit tressaillir ; mais en tournant la tête, elle vit appuyée contre le carreau la face du vieux Kester, et, se rassurant aussitôt, elle alla doucement ouvrir la porte. L’honnête valet de ferme était là, debout dans les ténèbres, et sa maîtresse crut entrevoir qu’il tenait à la main