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Une de ces jeunes filles que Sylvia et Molly avaient trouvées sur leur chemin au sortir de la foule, remontait la rue à grands pas. Elle était pâle d’émotion, ses vêtements en désordre flottaient au vent, et ses gestes abandonnés, ses allures libres, la désignaient comme appartenant à la classe la plus infime de notre population côtière. Sans qu’elle en eût conscience ses joues ruisselaient de larmes, et dès qu’elle reconnut la physionomie sympathique de Sylvia, elle s’arrêta, toute hors d’haleine, pour lui serrer énergiquement la main.

« Les voilà ! les voilà ! criait-elle ; je cours le dire à maman…

— Sylvia, demanda Philip d’un ton sévère, comment connaissez-vous cette fille ?… Ce n’est pas une personne à qui vous deviez donner la main.

— Que pouvais-je donc faire ? dit Sylvia, que l’accent de Philip plus encore que ses paroles disposait à éclater en sanglots. Quand je vois les gens si joyeux, je ne saurais m’empêcher de partager leur bonheur : ma main est allée vers elle comme la sienne venait vers moi… Pensez donc que le vaisseau arrive enfin ! Si vous aviez vu tous ces regards jetés du côté de la mer, toute cette inquiétude, toute cette attente, vous auriez vous aussi serré la main de cette jeune fille, et sans qu’il y eût un grand dommage, à mon avis… Il n’y a pas demi-heure que, du côté de la jetée, je l’ai vue pour la première fois, et peut-être ne la rencontrerai-je de ma vie. »

Hester, sans quitter le comptoir, s’était cependant rapprochée d’eux ; elle entendait ce dialogue, et le moment lui sembla venu d’y placer son mot.

« Cette enfant, dit-elle, ne saurait être tout à fait mauvaise, puisque sa première pensée était d’aller avertir sa mère. »

Sylvia jeta du côté d’Hester un vif regard de reconnaissance, qui passa malheureusement inaperçu, la