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Kester, le lendemain, partagea l’admiration de ses deux maîtresses, et Daniel put se repaître à loisir des éloges enthousiastes que chacun lui décernait, dans le petit cercle de famille. Il se leva tard, encore un peu meurtri de sa chute sur les pavés, et rentra de bonne heure des champs où il était allé se promener avec Kester.

Ils trouvèrent Philip assis auprès de Sylvia. Depuis qu’il se gardait de tout empressement maladroit, elle l’écoutait avec plus de patience et parfois même avec un certain plaisir. Lui seul, de temps en temps, apportait quelque distraction dans cette monotone existence que lui faisaient des occupations régulières, désormais sans aucun intérêt pour elle. Elle était tombée par degrés sous la dépendance de ce dévouement timide, de ces attentions discrètes dont il l’entourait sans cesse ; et lui, de son côté, — lui que sa vivacité piquante avait séduit naguère, — il trouvait, en véritable amoureux, à sa langueur actuelle un charme bien plus puissant, à son silence une douceur suprême dont aucune parole n’aurait pu donner l’idée.

Daniel était rentré avec l’idée de se mettre au lit ; mais l’arrivée de Philip le fit changer de projet. Il voulait savoir ce qui se disait à Monkshaven au sujet des événements de la veille, et, dès le début de l’entretien, crut devoir l’informer du rôle important qu’il avait joué dans la délivrance des prisonniers. Sylvia, seule attentive à l’impression que ce récit produirait sur Philip, demeura fort étonnée de voir sur sa physionomie, au lieu de l’admiration qu’elle attendait, un étonnement douloureux, une gêne mal dissimulée. Il semblait avoir quelque chose à dire et chercher, tout en écoutant, sous quelle forme il pourrait le faire accueillir. Lorsque Daniel eut achevé son épopée, surpris et piqué de n’entendre ni les questions, ni les félicitations auxquelles il s’attendait :

« Mon neveu, reprit-il en se tournant vers Bell, mon