Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Huit heures sont sonnées depuis longtemps, repartit Sylvia.

— Le vent n’a-t-il pas apporté de ce côté un bruit de cloches ?… »

C’était le tocsin de Monkshaven, qu’elle n’avait pas reconnu. Il y eut ensuite un long silence, mais toutes deux, cette fois, étaient bien éveillées.

« Si je prenais, dit Sylvia, la lanterne de l’étable pour aller au-devant de lui ?

— C’est cela, ma fille ; donne-moi de quoi me couvrir et je t’accompagnerai.

— Je ne le souffrirai pas, dit Sylvia… Malade comme vous l’êtes, et par une nuit comme celle-ci, ce serait le comble de l’imprudence…

— Alors, fais lever Kester.

— À quoi bon ? Je n’ai pas peur de l’obscurité.

— De l’obscurité, non ; mais de ce que tu pourrais y rencontrer ?… »

Ces dernières paroles firent passer un frisson dans tout le corps de Sylvia. Elle se figura, sur une des barrières du champ qu’elle allait traverser, le pâle fantôme de Kinraid… Mais cette imagination même n’était pas de nature à l’effrayer. Une douleur sincère et profonde avait détruit chez elle toutes les susceptibilités nerveuses de la jeune fille. Elle sortit donc seule, et rentra au bout de quelque temps sans avoir rien vu. La mère et la fille reprirent leur veillée, qui leur sembla cette fois se prolonger indéfiniment. Enfin un bruit de pas se fit entendre, et si familier qu’il fût à leurs oreilles, elles tressaillirent toutes deux.

« Je n’en peux plus, dit Robson se laissant lourdement aller sur le siége le plus voisin de la porte.

— Pauvre papa ! » s’écria la jeune fille agenouillée déjà pour dénouer les gros souliers de son père couverts d’une boue épaisse.