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se jetaient au-devant du cortège libérateur, — il demeura tout entier aux remercîments dont on l’accablait, jusqu’au moment où la fatigue, le malaise de ses membres endoloris, le besoin de se retrouver au milieu des siens et de recevoir les soins de sa femme, le déterminèrent à reprendre le chemin de Haytersbank. Parvenu sur les hauteurs où la ferme était située, il se tourna pour jeter un dernier regard dans la direction de Monkshaven. L’incendie était à peu près éteint ; mais, sur l’emplacement du trop fameux Randyvow, on voyait encore quelques rouges reflets, quelques filets de fumée. Daniel, à cet aspect, ne put s’empêcher de sourire : « Voilà ce qu’on gagne, se disait-il, à sonner le tocsin quand il n’y a de feu nulle part. »

X

JOIE ÉPHÉMÈRE.

Pour Bell Robson et pour Sylvia, il n’y avait rien de très-inusité à voir le mari de l’une, le père de l’autre rentrer du marché à une heure avancée de la nuit, la tête quelque peu embarrassée, le pas quelque peu chancelant. Aussi l’attendaient-elles paisiblement, ce soir-là, Bell engourdie dans son fauteuil, Sylvia immobile au coin du feu, les yeux sur les tisons, la pensée au loin, dans ces vagues régions où elle cherchait l’image de son malheureux fiancé, sans la trouver toujours aussi nette, aussi lumineuse qu’elle l’eût voulu.

Après de longs rêves, un moment vint où la vieille fermière redressa la tête tout à coup, et où ce brusque mouvement tira Sylvia des préoccupations mélancoliques dans lesquelles elle était comme abîmée.

« Le père n’est pas rentré, dit Bell.