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ateliers de travail, c’est-à-dire dans les melting-houses. Au lieu de la foule active qui, les autres années, venait s’y livrer aux opérations complémentaires de la pêche, tout au plus voyait-on se glisser furtivement, le long des ruelles détournées, alléchés par un salaire exorbitant, quelques pauvres diables aux regards sinistres, à la démarche hésitante, toujours au guet, toujours prêts à fuir, comme si au lieu d’un travail légitime, ils étaient en quête de quelque coupable aubaine. La plupart emportaient leurs couteaux de bord, prêts à verser le sang pour défendre leur liberté menacée. Les publicains postaient de tous côtés des vedettes ; et autour des tables où l’irrésistible attrait de la boisson appelait encore leurs clients, on n’entendait, — à la place de refrains bachiques et d’incohérentes divagations, — que d’âpres menaces, serments de vengeance, imprécations déchaînées, appels directs à la révolte et au meurtre.

Trois navires, ancrés à quelques milles de Monkshaven, avaient leur bonne part de ces malédictions quotidiennes. La première fois que Philip entendit parler, dans son magasin, de ces trois monstres immobiles qu’on se montrait au fond de l’horizon brumeux, il sentit son cœur défaillir, et tout au plus osa-t-il s’informer de leurs noms. En effet, si l’un d’eux était l’Alceste, si Kinraid trouvait moyen de passer parole à Sylvia, — s’il lui faisait savoir que, vivant encore, il lui restait fidèlement attaché, — si elle apprenait ensuite l’histoire de ce message supprimé par un rival jaloux et perfide, — outre qu’il perdrait tous ses droits à l’amour de la jeune fille, comment pourrait-elle l’estimer encore ? Devant cette crainte, tout sophisme s’évanouissait ; la peur qu’il éprouvait de se voir découvert ne laissait plus à Philip aucun doute sur sa culpabilité, sur la sincérité des paroles passionnées que Kinraid avait confiées à sa loyauté. Sans oublier les passa-