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par les événements dont ce dernier port venait d’être le théâtre. On y raconte encore aujourd’hui, sur la foi des habitants les plus avancés en âge, comment, un beau lundi soir, les matelots de la marine marchande, insurgés contre la press-gang, l’expulsèrent avec toute sorte d’outrages, et en forçant les marins de l’État à retourner leurs habits d’uniforme. Une populace nombreuse les accompagna jusqu’à Chirton-Bar, et après avoir salué leur départ de trois hourras triomphants, les avertit qu’on les mettrait en pièces s’ils s’avisaient jamais de reparaître à North-Shields. Quelques jours après, de nouveaux griefs mirent sur pied un corps de cinq cents matelots ; armés de tous les sabres et pistolets qu’ils avaient pu réunir, ils parcoururent tumultueusement la ville, et cherchèrent à s’emparer d’un tender (l’Eleanor), en alléguant les traitements indignes qu’on y faisait subir aux enrôlés de fraîche date. L’énergie des officiers qui commandaient ce « vaisseau du roi, » fit complétement échouer l’entreprise, mais la bande armée se dirigea, dès le lendemain, vers Newcastle. Apprenant toutefois qu’ils y étaient attendus par des forces respectables, et que la milice était sur pied, ceux qui la composaient se dispersèrent jusqu’à nouvel ordre, non sans avoir porté la terreur dans les rangs de la population paisible, qui s’étonnait de voir tant de préparatifs militaires.

Quelques semaines plus tard, l’autorité prit sa revanche. Un régiment logé dans les casernes de Tynemouth vint occuper, à la faveur de la nuit, toutes les issues de North-Shields ; les bâtiments de guerre à l’ancre dans le port débarquèrent leurs press-gangs qui parcoururent à loisir le cercle fatal d’où personne maintenant ne pouvait s’échapper ; plus de deux cent cinquante malheureux — matelots, ouvriers, cultivateurs — furent enveloppés dans ce vaste coup de filet et conduits à bord