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— Elles n’en resteront pas là, repartit Alice avec le sombre accent d’une sibylle inspirée.

— Pourquoi donc ? » s’écria Philip, tout étonné. Mais il n’obtint aucune réponse. Alice était absorbée dans l’immense effort de plier son orgueil à certaines paroles qu’elle voulait pourtant prononcer.

— Voyons, bonne mère, un mot en faveur de ce pauvre garçon !…

— Pas une syllabe, au contraire. Les mariages doivent se faire sans qu’on s’en mêle… Sais-je donc si ma fille n’en préfère pas un autre ?

— Allons donc !… Notre Hester n’est pas de celles qui donnent leur cœur sans qu’on le demande… Et soit ici, soit au magasin, nous savons tous qu’elle n’a pu être courtisée par âme qui vive… Donc…

— Restons-en là, mon enfant !… je ne trouve pas que le jour où nous sommes se prête à tous ces bavardages mondains, et je te prie de me les épargner… Il me tarde, vois-tu, d’être dans un monde où on ne parlera plus ni de mariage ni d’amourettes ; car ici-bas c’est une éternelle cause de bavardages et de malentendus. »

Elle rouvrit à grand bruit sa Bible quand elle eut terminé cette espèce d’anathème, et pendant que ses mains, tremblantes de colère, ajustaient à grand’peine ses lunettes sur son nez, elle entendit Philip s’excuser humblement : « Si j’avais été libre, disait-il, de venir un autre jour…

— Très-bien, très-bien !… Ce qui est dit est dit, n’y pensons plus. Tu pourrais cependant t’épargner ces méchantes excuses… Je gagerais bien que tu es allé à la ferme de Haytersbank, un des jours de cette semaine ? »

Philip ne put s’empêcher de rougir. Il en était effectivement à regarder ces visites sans cesse réitérées comme appartenant au train de ses occupations régulières. Aussi garda-t-il le silence.