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« Je vais t’expliquer ceci, dit John Foster à Philip, le lendemain du jour où avaient été débattues les objections de leur vieille amie. Dans sa jeunesse, elle était fort agréable, et Jeremy ne songeait qu’à l’épouser ; si bien que, n’ayant pu l’obtenir, il est resté célibataire pour le reste de ses jours. Hester, cependant, bien que fille de l’homme que mon frère s’est vu préférer, n’en aura pas moins, je le crois bien, tout ce qu’il doit laisser après lui… Je crois même, à ce propos, que vous feriez bien, toi et Coulson, de tenter fortune auprès d’Hester… J’en ai prévenu, ce matin, ton camarade, lui donnant ainsi quelque avance sur toi, parce qu’il est un peu mon parent… Vous voilà maintenant avertis tous deux… Revenons au mariage de la pauvre Alice ! elle était alors jeune et gaie, souriante à chacun, point maussade ni revêche… si ce n’est pourtant lorsque Jeremy lui voulait faire un doigt de cour. Que veux-tu ? Elle s’était affolée d’un certain Jack Rose, matelot à bord d’un baleinier. Chacun eut beau dire et beau faire : il fallut, en fin de compte, qu’elle l’épousât… Or c’était un mauvais sujet, un débauché qui courait après le premier cotillon venu, buvait sans cesse, et une fois gris, battait sa femme… Le sourire et les fraîches couleurs de la pauvre Alice ne durèrent pas longtemps. Après un an de mariage, à l’époque où Hester vint au monde, elle avait déjà presque autant de cheveux blancs et presque autant de triste résignation que tu lui en vois aujourd’hui. Ils seraient tous morts de faim, le mari, la femme et l’enfant, si Jeremy ne leur fût venu en aide… En se cachant, bien entendu, car Alice a toujours eu beaucoup d’orgueil… Le nom de son bienfaiteur, en supposant qu’elle l’ait jamais deviné, a dû lui rendre le bienfait singulièrement amer… Mais l’orgueil lui-même doit se taire quand l’amour maternel est en jeu…