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« Te rappelles-tu, lui dit sa tante, ce cousin des Corney, ce piqueur de baleines qu’on appelait Charley Kinraid ? »

S’il se le rappelait, grands dieux !… Comment l’eût-il oublié ?

« Le pauvre diable n’est plus de ce monde, reprit sa tante avec une sorte de componction.

— Mort ? vous dites qu’il est mort ?… Comment le savez-vous ?… je ne comprends pas, » s’écria Philip étrangement stupéfait.

En somme, pourquoi n’en serait-il pas ainsi ?… Peut-être Kinraid, essayant de s’échapper, avait-il reçu quelque mauvais coup… peut-être s’était-il noyé… sans cela, comment le bruit de sa mort se serait-il répandu ? On devait le supposer en route pour le Groënland, et dès lors sa disparition du pays s’expliquait naturellement. Pourquoi le croire mort ? Que voulait dire ceci ?… Et Philip était consterné, car, dans ses plus violents accès de haine, jamais il n’avait osé souhaiter le trépas de son rival.

« Garde-toi, reprit sa tante, garde-toi d’en parler à Sylvia !… Je ne sais comment cela se fait, mais cet accident, selon moi fort heureux pour elle, l’a très-péniblement affectée. Il leur avait tourné la tête, à elle et à Bessy Corney, ce bel enjôleur… Mais c’était là pure fantaisie de jeunes filles, et il n’y a certes pas de quoi se formaliser. N’importe, autant vaut qu’il ne soit plus des nôtres, ce qui est dur à penser d’un pauvre noyé.

— Noyé ? reprit Philip ; encore une fois, qu’en savez-vous ? »

Au fond, il espérait qu’on allait lui parler d’un cadavre encore reconnaissable et rejeté sur la côte par les flots complaisants, de circonstances enfin qui trancheraient tous les doutes et fixeraient définitivement les situations. Kinraid avait fort bien pu, en se débattant,