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une absence prolongée. Pourquoi Sylvia ne l’oublierait-elle point, elle aussi ? À ce prix, son bonheur est assuré. Pour cela, mieux vaut qu’elle n’entende jamais parler de lui, ni en bien ni en mal. À force de patience et de soins, à force de cultiver cet amour rebelle, Philip ne peut-il pas avoir raison d’une ombre vaine, d’un souvenir graduellement effacé ?

Le nom de Sylvia est sur ses lèvres ; Sylvia elle-même est devant ses yeux. Il l’aperçoit, à l’extrémité du sentier montant qui traverse dans toute sa longueur le jardin en pente, — trop loin pour qu’il puisse lui envoyer une parole amie, — mais assez près pour qu’il ne perde aucun détail de sa physionomie ou de son attitude. Elle est debout, immobile, à la crête d’un mur de soutènement, de la main abritant ses yeux, ses yeux fixés vers la mer. Immobile, ai-je dit ? une statue de pierre ne le serait pas davantage, et Philip sent son cœur se serrer. Il donnerait beaucoup pour qu’elle bougeât, pour qu’elle cessât de regarder la mer, du haut de ce jardin qu’ils avaient tant de fois cultivé ensemble, dans les premiers temps de l’établissement à Haytersbank, alors qu’elle était encore une jolie enfant et rien de plus.

Descendant à grands pas le sentier rapide, il trouva sur le seuil de l’habitation sa tante occupée à tricoter. Dans le bercail voisin, il entendait son oncle causer à haute voix avec Kester. Pourquoi Sylvia se tenait-elle ainsi loin des siens, dans cette immobilité si peu naturelle ?

Mistress Robson, enchantée de revoir son neveu, voulait immédiatement signaler son arrivée au reste de la famille. Philip la contraignit vivement à se rasseoir. Il avait, disait-il, tant de choses à lui raconter ; — il avait, en réalité, tant de questions à lui faire. Bientôt la conversation arriva d’elle-même au sujet qui l’intéressait plus particulièrement.