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mais au fond il voulait uniquement transmettre à sa bonne tante « et à Sylvia » le témoignage des inaltérables sentiments qu’il leur gardait, sentiments sur lesquels l’absence n’avait aucune prise. Peut-être Robson répondrait-il. Du moins son neveu voulut-il s’en flatter, bien qu’il sût, mieux qu’un autre, à quel point l’honnête fermier était hors d’état de tracer sur le papier autre chose que des hiéroglyphes à peu près indéchiffrables. Mais c’était bien là ce qu’on appelle « espérer contre toute espérance, » et la poste n’apporta rien. La correspondance commerciale des Foster résumait, en termes aussi brefs que possible, les nouvelles de Monkshaven, et pas une fois il n’y fut question de la famille Robson. Philip songea bien à prier Coulson de se rendre à Haytersbank pour le renseigner sur ce qui s’y passait, mais le mécontentement que son collègue avait témoigné en le voyant choisi par leurs patrons pour une mission de haute confiance, ne permettait guère de lui demander un pareil service.

Malheureux de ce côté, Philip voyait réussir, au contraire, les transactions auxquelles il s’employait pour le compte de la maison. Son extérieur sérieux, sa gravité précoce, son exactitude scrupuleuse lui gagnaient le cœur de tous les négociants auxquels il avait affaire : mais au milieu de ses succès l’espoir chaque jour déçu de cette lettre qui n’arrivait pas, jouant le même rôle que la présence de Mardochée assis au seuil du palais d’Aman, mêlait une secrète amertume à tous ses triomphes, et le rendit presque indifférent aux témoignages de satisfaction qu’il reçut de ses patrons. Leur épître, cependant, concise mais expressive, lui faisait pressentir que — pour prix de son zèle, et à raison de l’aptitude qu’il venait de montrer — il allait jouir de toute leur confiance, et devait se considérer comme leur associé, en attendant qu’il devînt leur successeur.