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ter papier, plume et encre, puis sur la première feuille, traça lentement ces mots :

« Mon très-cher oncle, »

Après quoi il s’arrêta indécis, les yeux fixés sur la page blanche, et se demandant s’il parlerait de Kinraid. Mais dans ce cas, jusqu’où iraient ses révélations ? La pensée lui vint aussi d’écrire directement à Sylvia elle-même et de lui dire… de lui dire quoi ?… Le message de son amant aurait sans doute pour elle tout le poids de l’or, tandis qu’aux yeux de Philip, les derniers mots prononcés par le specksioneer n’avaient d’autre valeur et d’autre consistance que celle de la poussière dont le vent se joue ; — vains propos comme ceux dont on se sert pour amuser l’imagination des femmelettes étourdies. Philip, naturellement, ne faisait aucun fonds sur la constance de son rival. D’un autre côté, s’il adressait sa lettre à Robson, mentionnerait-il, purement et simplement, la capture de Kinraid par les agents de la press-gang ? Il le fallait, peut-être, puisqu’il était le dernier avec qui on eût pu voir le jeune marin. Cependant, il sentait que la moindre parole à ce sujet devait être décisive, et il hésitait encore, lorsque le nom du specksioneer, prononcé dans les groupes voisins, attira tout à coup son attention. On y parlait avec un grand laisser-aller des qualités exceptionnelles de Kinraid, qui lui assuraient un rang distingué parmi ses compagnons de pêche ; mais, sur un ton plus libre encore, on jasait de ses talents d’enjôleur et de ses succès auprès de mainte et mainte fillette dont les noms émaillaient cette causerie de cabaret. Hepburn, dans le secret de son cœur, ajouta deux noms à la liste : celui d’Annie Coulson et celui de Sylvia. Plus pâle que jamais en face de cette pensée désolante, il demeura comme perdu dans une amère contemplation jusqu’au moment où les maîtres du logis le tirèrent de