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raid, tombé à terre pendant la lutte. Dans la doublure un ruban était fixé ; un morceau de ce même ruban que Philip avait choisi naguère, avec une si tendre espérance, pour l’offrir à Sylvia le soir du Nouvel An. Il reconnut à merveille les moindres détails de cette broderie délicate qui représentait, on s’en souvient peut-être, des fleurs d’églantier ; et alors un véritable spasme de haine vint contracter son cœur. Tout à l’heure il s’était senti quelque pitié pour ce rival que l’on enlevait ainsi sous ses yeux ; maintenant il abhorrait Kinraid.

« Que me voulez-vous ? » lui demanda-t-il enfin d’une voix sombre, et encore eût-il volontiers attendu que Kinraid parlât le premier ; mais il ne pouvait plus supporter les airs railleurs, les clignements d’yeux, les grossières plaisanteries que les matelots échangeaient déjà et dont « l’amoureuse » de leur prisonnier faisait tous les frais. « Dites à Sylvia, commença Kinraid…

— Un joli nom, s’écria un des marins ; mais le prisonnier continua sans prendre garde à l’interruption.

— Racontez à Sylvia ce que vous venez de voir… et comment je suis enlevé par cette presse damnée.

— Soyons poli, mon camarade !… miss Sylvia, j’en suis sûr, n’a aucun goût pour un si grossier langage… Dites-lui, mon bon ami, en lui offrant mes respects… les respects de Jack Carter, par parenthèse… que les gentlemen servant Sa Majesté à bord de l’Alceste, vont traîner ce joli garçon sur le chemin de la gloire, qui n’est pas celui des baleines… » Un des marins se mit à rire de cette plaisanterie grossière ; un autre pria Carter de tenir en bride sa stupidité naturelle. Philip l’aurait anéanti, s’il avait pu. Kinraid l’entendait à peine. Il allait s’affaiblissant toujours.

« Dites à Sylvia, continua-t-il se soulevant par un nouvel effort, tout ce dont vous avez été le témoin… Dites-lui qu’elle me reverra… Priez-la de ne pas ou-