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et chaque fois, en revanche, allongeait un coup de pied au malheureux specksioneer, si bien qu’à la fin ses camarades eux-mêmes interrompirent les malédictions dont leur prisonnier était l’objet, pour lui faire honte de sa lâche conduite. Kinraid, quant à lui, ne disait rien et ne cherchait même pas à se mettre hors d’atteinte. Il n’écoutait pas, il n’entendait pas les insolentes paroles auxquelles il était en butte. Son âme se heurtait à toutes les issues de la situation qui lui était faite, récapitulant, dans ces courts instants de crise, ce qui avait été, ce qui aurait pu être, ce qui était. Mais sous le coup de ces pensées poignantes, il guettait machinalement les chances qui pouvaient lui rester, et au moment où, détournant un peu la tête, il cherchait au loin, du regard, ces ombrages de Haytersbank sous lesquels était Sylvia, il aperçut le visage de Hepburn, blême d’émotion plus que de crainte, et qui derrière le rocher où il était resté haletant, contemplait avec une sorte de curiosité passionnée cette scène tragique.

« Ici, mon garçon ! » cria le specksioneer dès qu’il eut aperçu Philip ; et en même temps il soulevait, il tordait son corps avec tant de vigueur, que les matelots quittèrent le travail auquel ils se livraient pour mettre la barque à flot, et vinrent le coucher encore une fois par terre comme s’ils se méfiaient de la force du cordage qui liait ses membres. Mais le captif ne songeait nullement à se délivrer ainsi ; son seul but était de faire approcher Hepburn et de le charger d’un message pour Sylvia : « Par ici, par ici ! » répéta-t-il, et cette fois d’une voix si faible, si épuisée, que les matelots eux-mêmes se sentirent touchés de compassion.

« Avance à l’ordre, Tom le Curieux !… n’aie donc pas peur, crièrent-ils à l’envi.

— Je n’ai pas peur, dit Philip ; je ne suis pas marin, et la presse ne me regarde pas… Cet homme-là non