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lement venir à bout de leur entreprise ; il entendit aussi le cri soudain de quelqu’un qui venait d’être blessé. Ce n’était point Kinraid : en un pareil moment, la plus vive douleur l’aurait trouvé silencieux. Suivit une autre lutte, furieuse et mêlée de blasphèmes ; puis il se fit un silence étrange. Hepburn sentait le cœur lui manquer. Avait-on tué son rival ? Pareil malheur le rendrait responsable de ce trépas. Sans avoir jamais souhaité que les choses en vinssent là, il s’était tenu à l’écart, et peut-être n’était-il plus temps d’intervenir. Ce doute lui devint insupportable ; il jeta un regard furtif par-dessus le rocher derrière lequel il s’était tapi, et vit alors que les quatre matelots étaient venus à bout de Kinraid ; — trop épuisés pour parler, ils lui liaient les mains et les pieds pour le porter ensuite dans leur barque.

Kinraid était retombé dans une immobilité complète ; il se laissait pousser, traîner sans résistance, comme un corps inerte. L’animation du combat avait fait place, sur son visage, à une pâleur livide ; ses lèvres étaient fortement serrées l’une contre l’autre, comme s’il lui fallait plus d’efforts pour se maintenir ainsi à l’état passif, roide comme un bloc de bois dans leurs mains hostiles, que pour lutter naguère et combattre de tout son pouvoir. Ses yeux seuls témoignaient qu’il n’avait pas perdu connaissance. Ils étaient aux aguets, expressifs comme ceux d’un chat sauvage qu’on tient en arrêt, et semblaient chercher de tous côtés quelque moyen d’évasion qui jusque-là ne s’était pas offert, qui probablement ne devait pas s’offrir, mais dont il ne voulait pas désespérer encore.

Sans remuer la tête et du fond de la barque où on l’avait jeté, il voyait, il suivait avidement tout ce qui se passait autour de lui. À ses côtés était le matelot qu’un de ses coups avait blessé. Cet homme, la tête dans ses mains, poussait de temps en temps une plainte