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par un mouvement instinctif, il aurait cherché à les éviter en se glissant derrière quelque muraille ; et cela malgré le projet bien arrêté qu’il avait, en venant à Haytersbank, de causer longuement avec son oncle.

Kinraid le prit à court par un cordial salut dont Philip aurait bien voulu se défendre. Le specksioneer se sentait rempli de bienveillance pour l’univers en général, et plus particulièrement pour les amis de Sylvia ; convaincu maintenant de l’amour qu’elle lui portait, il n’éprouvait plus, à l’égard de Philip, aucune espèce de jalousie, et le calme triomphant qui se peignait sur sa belle figure bronzée contrastait d’une manière frappante avec la froide réserve dont restait empreinte la longue figure blême de son pauvre rival. Il se passa quelques minutes avant que ce dernier pût se résoudre à faire connaître devant un tiers, qu’il s’obstinait à traiter comme un étranger, ses projets pour le lendemain. Daniel parut surpris de parler à un homme en passe de partir pour Londres dans un aussi bref délai.

« Il n’est pas possible, disait-il, que tu n’aies pas prémédité ceci depuis plus de douze heures.

— Cela est, cependant, répondit Philip : hier soir, je n’en savais pas le premier mot, et s’il faut tout vous dire, j’aimerais autant rester où je suis.

— Vous changerez d’idée là-dessus, dit Kinraid avec un air de supériorité que Philip ne trouva pas de son goût.

— Je ne crois pas, répliqua-t-il sèchement… Mais du reste, ajouta-t-il cédant à un mouvement de curiosité, je vous savais, vous, dans ces parages… Devez-vous y rester longtemps ? »

Dans l’accent de Philip, sinon dans ses paroles, il y avait une sorte de brusquerie qui força Kinraid à le regarder en face avec surprise et à lui répondre, tout aussi laconiquement :