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arriverait facilement à Newcastle, soit par voie de terre, soit par voie de mer ; là, il ne pouvait manquer de trouver des bâtiments caboteurs sur le point de partir pour Londres. À leurs recommandations, à leurs avis, les deux quakers ne manquèrent pas de joindre un viatique considérable, libéralement extrait de leur coffre-fort, et qui, dans toute hypothèse, devait suffire aux dépenses les plus larges. Philip ne s’était jamais vu à la tête de tant d’argent, et il eût hésité à s’en charger, — malgré ce qu’on lui disait des prix monstrueux de la capitale, — s’il ne s’était promis de tenir un compte exact de ses dépenses et de rapporter fidèlement le reliquat qu’elles auraient laissé en ses mains.

Une fois revenu derrière le comptoir, la silencieuse jalousie de Coulson lui laissa tout le loisir de ruminer ce qui venait de se passer. Dans les réflexions qu’il fit à ce sujet, tout n’était pas, il s’en faut bien, joie et triomphe. La pensée de quitter Sylvia pour plusieurs jours, — peut-être pour une quinzaine, peut-être pour un mois, — n’avait rien qui dût lui sourire. Mais, d’un autre côté, il attachait un grand prix à la confiance qu’on venait de lui témoigner, et la trouvait d’autant plus flatteuse qu’elle était plus exclusive.

Ce ne fut que le soir, chez Alice Rose, au moment du thé, qu’il annonça son voyage. S’il n’en avait pas parlé plus tôt à Coulson, c’était dans la crainte d’augmenter encore le mécontentement dont celui-ci ne lui avait pas ménagé les témoignages indirects, mécontentement dont l’expression devait se trouver contenue par la présence d’Alice Rose et de sa fille.

« Tu vas à Londres ! » s’écria la première.

La seconde ne dit rien.

« Il y a des gens qui ont du bonheur, ajouta Coulson.

— Du bonheur !… répéta la vieille Alice en se retournant vivement de son côté ; je n’aurais pas voulu, mon