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tant qu’il serait là, et on ne pouvait guère songer à la laisser longtemps debout, malade comme elle venait de l’être.

« Sylvia aurait dû vous dire, monsieur, que le maître de la maison n’est pas chez lui, et qu’il doit rentrer assez tard… Il sera certainement fâché d’avoir manqué votre visite. »

C’était là un congé en bonne forme ; il ne restait plus qu’à s’en aller. Pour tout dédommagement, Kinraid pouvait lire sur le visage rosé de la gentille Sylvia un trouble, un regret, sur lesquels il n’y avait pas davantage à se méprendre. Sa vie de marin, qui l’avait souvent mis face à face avec des événements inattendus, lui avait donné quelque chose de ce sang-froid que nous considérons comme un attribut essentiellement aristocratique, et ce fut avec un calme presque désobligeant pour Sylvia, — car elle y voyait un symptôme d’indifférence, — qu’il souhaita le bonsoir à sa mère, et que, retenant la main de la jeune fille un instant à peine au delà du strict nécessaire, il se contenta de lui dire :

« Je reviendrai certainement avant mon départ… Peut-être alors répondrez-vous à ma question. »

Il avait parlé très-bas, et la fermière, en ce moment-là même, se réinstallait dans son fauteuil, sans quoi Sylvia aurait eu à répéter tout haut ces embarrassantes paroles. Mais, grâce à un si heureux concours de circonstances, elle put apporter son rouet près du feu pour filer tout à son aise, et mener paisiblement ses rêves en attendant que sa mère prît la parole.

Bell Robson, droite sur son fauteuil et les yeux fixés sur le feu, ruminait à part elle sur le plus ou moins d’à-propos que pourraient avoir certaines remontrances et certains exemples frappants, susceptibles de faire réfléchir sa fille aux conséquences du penchant qui semblait l’entraîner vers Kinraid ; mais une sorte de pudeur