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yeux chastes de la jeune fille restaient fixés sur les siens, et il n’y avait dans l’expression de ces derniers ni de quoi l’effrayer, ni de quoi la faire fléchir. On eût dit deux enfants se provoquant l’un l’autre, et bien décidés à ne pas céder. Elle finit par desserrer les lèvres, et avec un mouvement de tête triomphant, ses bras ensevelis derechef dans son tablier à carreaux :

« Il faudra bien, lui dit-elle, que vous retourniez chez vous.

— Pas d’ici à deux heures, et vous serez complétement gelée avant ce moment-là… Répondez-moi donc, sans plus de résistance. »

Avait-il parlé plus haut qu’il ne voulait ? ou le long silence qui avait précédé ces derniers mots leur donnait-il un retentissement particulier ? Quoi qu’il en soit, on entendit Bell Robson appeler Sylvia. Celle-ci s’élança pour obéir — et, à ce qu’imagina Kinraid, non sans quelque ressentiment — elle était charmée de lui échapper ainsi. Il entendit à travers la porte ce que se disaient la mère et la fille, mais sans attacher d’abord aucun sens à leur conversation, tant il avait peine à détacher ses idées du charmant tableau qu’il avait eu pendant quelques instants sous les yeux.

« Qui donc était là, Sylvia ? disait la fermière à moitié soulevée sur son siége ?… C’est une voix d’homme que j’ai entendue !

— Ce n’est que… c’est précisément Charley Kinraid ; … le père l’a invité hier soir, » dit Sylvia qui se savait écoutée du jeune homme et soupçonnait sa mère de ne pas le tenir en grande estime… À ce moment Kinraid entra, quelque peu gêné peut-être par l’embarras de sa situation, mais s’excusant de si bonne grâce et avec une physionomie si franche, que Sylvia, sans trop savoir à quel sujet, se sentit fière de lui. Bell Robson, cependant, s’était levée, comme résolue à ne pas se rasseoir