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à Haytersbank, elle lui avait donné lieu d’interpréter ses paroles dans un sens éminemment flatteur pour les prétentions qu’il pouvait avoir. Aussi aurait-elle voulu, en prolongeant le discours, le rendre un peu moins personnel. Ceci, pourtant, n’eût pas fait le compte du jeune homme, et, avec une voix qui lui alla au cœur, nonobstant le dépit qu’elle éprouvait en ce moment :

« Pensez-vous, Sylvia, lui dit-il, pensez-vous que ceci puisse arriver encore ? »

Elle ne trouvait plus un mot à dire, et se sentait prise d’un tremblement intérieur. Comme pour la forcer à répondre, il répéta la question. Réduite à parler, elle feignit de n’avoir pas compris.

« Je ne sais ce que vous voulez dire… Qu’est-ce qui n’arrivera plus ?… Laissez-moi sortir, je meurs de froid ! »

Un air glacial entrait, en effet, par la fenêtre simplement garnie de barreaux, et le lait commençait à geler. S’il se fût agi de ses cousines ou de mainte autre jeune fille, Kinraid n’eût vraiment pas été embarrassé de leur trouver un remède contre le froid. Mais, au moment de passer son bras autour de la taille de Sylvia, il s’arrêta malgré lui. Dans sa physionomie et son attitude il y avait tant de timide sauvagerie, et sa parfaite ignorance du sens qu’auraient eu ses paroles sur les lèvres de toute autre était si manifeste, qu’un respect involontaire paralysait l’entreprenant jeune homme. Aussi se borna-t-il à lui dire :

« Je vous laisserai retourner près du feu, dès que vous m’aurez dit si vous pensez qu’il me soit encore possible de vous oublier ? »

Elle le regarda d’un air de défi, et ses lèvres rouges se collèrent l’une à l’autre. Il était heureux de la voir si résolue à ne pas lui répondre ; ne montrait-elle pas ainsi qu’elle comprenait enfin toute la portée de sa question. Les