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La belle enfant ne répondit que par une moue dédaigneuse à cette plaisanterie qu’elle jugeait peu convenable. Molly, qui en prit sa part, ne s’en formalisa pas autrement. Elle se complaisait à l’idée (d’ailleurs sans aucune espèce de fondement) qu’elle pourrait avoir un sweet-heart, et s’étonnait quelque peu que cette idée restât aussi longtemps dans le domaine des chimères. Ah ! si elle pouvait, comme Sylvia, se donner un beau manteau neuf, on verrait peut-être les choses changer d’aspect… En attendant, le mieux était de sourire et de rougir, comme si les allusions à ce sujet délicat ne la prenaient pas au dépourvu. Elle alla plus loin, et répliqua de manière à faire supposer qu’elle avait effectivement, parmi les marins en voie de retour, un soupirant fort désireux de lui plaire.

Ceci ne fut pas perdu pour Sylvia qui, dès qu’elles se retrouvèrent en tête-à-tête, voulut absolument savoir le nom du soupirant de Molly. Une pareille insistance devait nécessairement embarrasser la jeune présomptueuse. Il ne lui convenait guère d’avouer qu’elle n’avait en réalité voulu désigner personne, et que son sweet-heart n’existait encore qu’à l’état d’hypothèse. Aussi commença-t-elle à se remémorer tous ceux qui, depuis qu’elle était au monde, avaient pu lui faire entendre quelques propos flatteurs. Malheureusement la liste n’en était pas longue, attendu que son père n’avait pas grand’dot à lui donner et que son minois n’était pas des plus séduisants ; mais elle se rappela tout à coup son cousin le specksioneer, qui, avant de partir pour le dernier voyage en mer, lui avait donné deux beaux coquillages, et pris en échange un gros baiser sur ses lèvres à moitié rebelles. Aussi se prit-elle à sourire, et d’un air significatif :

« On ne sait pas, on ne sait pas, dit-elle ensuite. Il ne faut point parler de ces choses-là quand on n’est pas