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lequel était placée une lanterne de corne, faisait semblant de tricoter un bas de laine grise, mais, en réalité, se raillait de ces efforts qu’elle voyait inutiles, et avait assez à faire de se garantir soit des ruades que le capricieux animal distribuait par-ci par-là, soit des mouvements erratiques par lesquels il fouettait l’air de sa queue. Une légère vapeur, émanée du bétail, flottait dans l’air attiédi. De faibles lueurs atténuaient à peine l’obscurité dans laquelle étaient pour ainsi dire noyées les poutres noires du plafond et les mobiles cloisons qui marquaient chaque stalle.

Au moment où Charley mit le pied sur le seuil, Sylvia prise à l’improviste au milieu d’une conversation presque badine, tressaillit légèrement et laissa tomber son peloton de laine. Kester, plus que jamais, parut se préoccuper des caprices de Black-Nell[1] ; mais ses yeux et ses oreilles étaient aux aguets.

« J’allais entrer chez vous, dit Charley, quand j’ai aperçu votre mère endormie… Je suis venu jusqu’ici, car je ne me souciais pas de l’éveiller… Votre père est-il chez lui ?

— Non, dit Sylvia baissant un peu la tête, et se repentant amèrement de son intempestive gaieté… Il ne reviendra que vers sept heures. »

Il n’était que cinq heures et demie, et, dans son irritation momentanée, Sylvia croyait de bonne foi qu’elle serait charmée de voir Kinraid battre en retraite. Au fond, c’eût été pour elle un grand désappointement. Kinraid, du reste, n’avait aucun projet de ce genre. Il voyait fort bien, expérimenté en pareille matière, que son arrivée imprévue avait agité Sylvia, et, — aussi bien pour la mettre à l’aise vis-à-vis de lui que pour se con-

  1. Hélène la Noire, petit surnom d’amitié qui peut passer ici, vu la circonstance, pour une appellation générique.