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une symétrie irréprochable, et dont les deux honnêtes sourires se correspondaient parfaitement.

Si admirable que soit cette régularité, on ne voit pas qu’elle mette les gens à l’aise, et ce fut seulement après le souper, lorsque Jeremy demanda les pipes, et lorsque trois des convives, sur quatre, se furent mis à fumer, que la conversation devint un peu moins difficile.

De politique on ne parla guère : c’était, à cette époque, un sujet délicat. La nation tout entière était sous le coup des terreurs qu’inspiraient la France d’abord, puis tous ceux qui professaient une sympathie quelconque pour les idées révolutionnaires. Un bill tyrannique contre les réunions séditieuses avait passé l’année d’avant, et on ne savait trop quelle portée le gouvernement comptait lui donner. L’impartialité des tribunaux n’existait plus, les magistrats prenant leur part des alarmes qui agitaient la multitude et subordonnant leur équité à l’intérêt de leur parti. On trouvait bien encore, çà et là, quelque téméraire qui prônait la réforme du parlement comme un premier pas vers un système loyal de représentation populaire : mais ces pionniers de 1830 étaient généralement mal vus. La grande masse du peuple se glorifiait d’appartenir au parti tory, et d’abominer la France avec laquelle il lui tardait d’en venir aux mains, car elle avait à peine idée de la naissante renommée que se faisait, précisément alors, un jeune capitaine corse, destiné à être pour l’Angleterre, peu d’années après, le même objet de terreur que Marlborough avait été jadis pour les Français en bas âge.

À Monkshaven, ces opinions avaient une prédominance excessive ; et le déchaînement des passions y engendrait une méfiance réciproque qui rendait fort difficile tout entretien sur les affaires publiques. On se bornait en général à des questions inoffensives dans le genre de celles-ci : — « Un Anglais peut-il tenir tête à plus de quatre Fran-