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en même temps l’avaient éteint. Malgré tout il ne désespérait pas, comptant sur la force et la durée peu commune de ses affections, et se disant qu’à la longue son entêtement devait triompher de tous les obstacles. Mais, il le sentait, le chemin suivi jusque-là l’éloignait évidemment de son but. Son intelligence, son savoir acquis, avec lesquels il avait cru pouvoir s’imposer à l’admiration de Sylvia, ce rôle de pédagogue qu’il prenait vis-à-vis d’elle, n’avaient rien qui pût la séduire. Au lieu de la censurer, il fallait désormais lui témoigner toute sorte d’indulgence et de tendresse, l’attirer à lui plutôt que la dominer ; — et peut-être encore avait-il beaucoup tardé à changer de système.

Telles étaient ses pensées, ses préoccupations, lorsque Alice Rose, assise en face de lui en vertu de motifs dont elle-même n’avait pas tout à fait conscience, commença l’âpre sermon qu’elle lui tenait en réserve.

« Tu n’as pas si bon appétit qu’à l’ordinaire, lui dit-elle. Au sortir des festins on ne goûte pas la chère de tous les jours. »

Philip sentit le rouge lui monter au front : il n’était pas d’humeur à supporter patiemment les récriminations qu’il voyait venir, et cependant il avait pour Alice le double respect qu’on doit aux femmes et aux vieillards. Il eût bien voulu l’envoyer promener, mais il se contenta de lui répondre que le « festin » pour lui s’était borné à une tranche de bœuf froid. Elle continuait cependant sans l’écouter :

« Après les plaisirs du monde, la voie céleste semble plus dure… Tu avais autrefois le zèle de la maison de Dieu, et je me sentais de l’estime pour toi ; mais depuis peu tu changes ; ta chute arrive à grands pas, et je me vois forcée de te dire ce que j’ai sur le cœur.

— Mère, interrompit Philip avec impatience (Coulson et lui donnaient parfois ce nom à la vieille Alice), je ne