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« Voyez un peu, disait-elle, si c’est la peine de nettoyer les carreaux pour les voir mouiller et salir ainsi… Et pourquoi les hommes se mêlent-ils de ce qui ne les regarde pas ? »

Philip fut surpris et contrarié. Mais quand la vieille femme, après lui avoir arraché la chaudière des mains, parut la trouver trop lourde pour la suspendre elle seule à la crémaillère, il n’en vint pas moins lui prêter secours. Elle le regarda fixement, mais sans pouvoir se résoudre à le remercier par une seule parole, et, rebuté par elle, Philip alla s’asseoir dans un coin de la pièce pour y ruminer tout à son aise la visite qu’il comptait faire le soir même à la ferme de Haytersbank.

Avec plus de vanité, le jeune commis aurait pu facilement deviner de quoi il s’agissait, mais il attribua tout simplement les rigueurs de mistress Rose à ce qu’il n’avait pas accompagné miss Hester à la veillée, et quelques incidents de la même journée vinrent le confirmer dans cette manière de voir. Le plus significatif fut celui-ci. Les deux commis revenaient à tour de rôle, de deux jours l’un, dîner avec Hester et sa mère. Celui qui pendant le repas était condamné à rester au magasin, mangeait seul le dîner qu’on lui gardait chaud à la bouche du four. Philip, que cette alternative régulière condamnait à dîner seul ce jour-là, ne fut pas médiocrement surpris de trouver Alice Rose installée près de la table où il devait s’asseoir. Je n’oserais dire qu’il en fût charmé, car il réfléchissait depuis le matin et sentait le besoin de réfléchir encore au plan de conduite qu’il devait suivre vis-à-vis de Sylvia. Renoncer à elle lui était impossible, tant qu’il ne la verrait pas engagée ailleurs. Il ne pouvait pas non plus se donner l’humeur joyeuse et le cœur léger des autres jeunes gens ; son caractère n’avait pas été jeté dans ce moule. Les chagrins précoces de son orphelinat solitaire l’avaient mûri, mais