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convives le retint derrière le siége qu’il venait de quitter. Là, victime de la chance qui le poursuivait encore, il put voir et il vit en effet, à travers le mouvement des têtes confuses et des bras allongés, assis à côté l’un de l’autre, écoutant et parlant plus qu’ils ne mangeaient, les deux jeunes gens qui, sans le savoir, lui faisaient endurer un si cruel tourment. Sylvia était comme enivrée de bonheur lorsque, levant tout à coup les yeux, elle vit la figure de Philip sur laquelle se peignait un extrême déplaisir :

« Il est temps que je parte, dit-elle alors ; Philip me fait les gros yeux.

— Philip ? répéta Kinraid avec un soudain froncement de sourcils.

— C’est mon cousin, répondit-elle, devinant par instinct l’idée qui venait de poindre en lui, et voulant écarter d’elle un soupçon que la circonstance rendait si déplacé. Ma mère l’a prié de me ramener chez nous, et il n’est pas homme à prolonger la veillée.

— Quel besoin de vous retirer avec lui ?… Je vous escorterai volontiers.

— C’est que ma mère est encore un peu malade, dit Sylvia dont la conscience n’était pas sans quelque trouble, et je lui ai promis de ne pas revenir trop tard.

— Est-ce que vous tenez toujours votre parole ? lui demanda-t-il, donnant à sa question un accent tout particulier.

— Toujours… Du moins, je l’espère, répondit-elle en rougissant.

— Si donc je vous demandais de ne pas m’oublier, et si vous veniez à me le promettre, je pourrais faire fond sur cette assurance ?

— Ce n’est pas moi qui vous avais oublié, » dit Sylvia si bas qu’il ne put l’entendre.