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— Et comment l’empêcher, je vous prie ?… Voyez d’ailleurs (et ici les deux têtes se tournèrent dans la direction de Sylvia), voyez ses airs demeurés et discrets !… Je vous réponds que Charley n’est pas homme à perdre son gage… Vous voyez cependant qu’il ne le réclame plus, et qu’elle a cessé d’avoir peur de lui. »

Il y avait quelque chose dans la physionomie de Sylvia, — quelque chose aussi dans celle de Charley Kinraid — où Philip reconnut immédiatement que Molly disait vrai. Il ne cessa de les guetter pendant tout le temps qui s’écoula jusqu’au souper. Sur un pied de familiarité inaccoutumée, on eût dit pourtant qu’ils s’intimidaient l’un l’autre, et cet état de choses apparemment si contradictoire embarrassait et torturait Philip. Que murmurait donc Charley à l’oreille de Sylvia chaque fois qu’ils passaient l’un près de l’autre ? Pourquoi semblaient-ils se séparer à regret ? Pourquoi la jeune fille avait-elle cet air à la fois heureux et rêveur ? Pourquoi tressaillait-elle à chaque appel du jeu, comme si une voix importune l’arrachait à quelque pensée chérie ? Pourquoi les yeux de Kinraid la cherchaient-ils sans cesse, tandis qu’elle détournait les siens ou les baissait en rougissant ? Plus Philip regardait tout cela, plus sa physionomie devenait sombre. Ce fut son tour de tressaillir lorsque mistress Corney vint l’engager à passer dans la salle du souper avec quelques personnes d’âge mûr, qui comme lui ne se mêlaient point à la danse. Il se rendit pourtant à l’invitation, motivée sur ce qu’il n’y avait pas place pour tout le monde à la fois, et alla s’asseoir sans le moindre appétit à cette grande table chargée de victuailles, devant laquelle bon gré mal gré, pour faire honneur à ses hôtes, il fallait se gorger ou mourir.

À peine échappé à ce supplice, et quand il voulut repasser dans la salle de danse, une nouvelle irruption de