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meur plus régulière, lui rappela bientôt que l’heure du marché allait expirer, et nos petites fermières se hâtèrent d’achever leur toilette urbaine. Leurs bas bleus bien tirés avaient été tricotés par elles-mêmes, et de brillantes boucles d’acier décoraient leurs souliers de cuir noir à hauts talons montants, bien ajustés sur le cou-de-pied. À partir de ce moment, elles marchèrent moins vite ; mais leur allure conserva cependant l’élasticité de la jeunesse, — car ni l’une ni l’autre n’avait encore vingt ans, et Sylvia n’en comptait guère que dix-sept, tout au plus. Avec leurs chapeaux de feutre noir dénoués et rejetés sur leurs épaules, leurs cheveux bouclés qu’elles venaient de remettre sommairement en bon ordre, leurs jupons courts dont elles avaient secoué la poussière, leurs petits châles (ou leurs grands mouchoirs, comme vous voudrez) épinglés sous le menton et fixés à la taille par le cordon de leurs souliers, — le panier sur le bras, le nez en l’air, les yeux baissés, — nos deux petites fermières étaient charmantes quand elles firent leur entrée dans la ville de Monkshaven.

Le havre étroit formé par l’embouchure de la rivière était encombré de petits navires de toute espèce dont les mâts, vus de loin, formaient une sorte de forêt inextricable. Au delà brillait la mer, véritable plaque de saphir sur laquelle on apercevait au loin les voiles blanches de maint et maint bateau de pêche, — immobile en apparence, et dont on ne pouvait apprécier la marche qu’au moyen de quelque point de repère choisi sur la côte ; près de la barre formée par la Dee, un bâtiment plus considérable était à l’ancre. Sylvia, récemment arrivée dans le pays, ne lui accorda aucune attention particulière ; mais Molly reconnut aussitôt un baleinier revenu des mers du Groënland… C’était le premier de la saison ! Grand événement pour Monkshaven et grand événement pour Molly, qui, entraînant sa compagne éton-