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mémoires d’un cambrioleur

Brahms ou les concertos de Wieniawski. Comme il se plaignait toujours d’avoir un mauvais violon, un jour, pour lui faire une surprise, je lui payai un Bergonzi qu’un luthier de la rue de Rome avait garanti excellent… Il l’était, en effet — trop peut-être — car à partir du jour où il eut cet instrument entre les mains, Gerbier laissa ses couleurs sécher sur sa palette… Je fus obligé, pour qu’il se remît au travail, de « confisquer » le violon. Je ne lui permettais plus de jouer qu’une heure le matin et deux heures le soir.

Jusqu’à présent, cet artiste était mon seul ami. Je lui dois beaucoup, car il m’a appris à aimer et aussi à apprécier des artistes tels que Cézanne, Renoir, Degas, Toulouse-Lautrec et Matisse…

Gerbier, je dois le reconnaître, n’abusa point de ma générosité. D’autres à sa place se fussent cramponnés à moi et m’eussent saigné à blanc, mais lui se montra très digne, et j’eus toujours beaucoup de peine à lui faire accepter quelque argent. Si ces lignes lui tombent sous les yeux, il ne sera peut-être pas très flatté d’avoir eu pour ami un cambrioleur, mais Gerbier a l’esprit large, et il… comprendra. L’homme n’est rien, c’est le geste qui est tout.

D’ailleurs, le cambrioleur qui oblige ses semblables est, à mon avis, plus estimable que le riche qui ne dénoue jamais les cordons de sa bourse…

Mon existence à Montmartre était celle d’un petit rentier, et les gens qui me voyaient passer ne se doutaient certes point que j’étais un millionnaire. Il est vrai que rien ne distingue le millionnaire des autres hommes.

Un jour que dans la rue Tholozé j’avais été surpris par la pluie, et me hâtais vers un café tout proche, j’aperçus devant moi une femme simplement mise, mais joliment bien tournée, ma foi. Elle portait une de ces enveloppes en serge noire que les Parisiennes appellent « une toilette » — je n’ai jamais pu savoir pourquoi — et cette toilette qui devait être pleine d’étoffes ou de lingerie