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retiré des affaires

Paris, mais Bill Sharper, qui venait souvent en France pour y chercher des « cailles », aurait pu, un jour ou l’autre, se trouver en face de moi, et j’avais de sérieuses raisons pour l’éviter… du moins pour le moment.

De ces deux ennemis, celui que je haïssais le plus, c’était certainement Manzana, car cet homme m’avait trop fait souffrir. Sa vilaine figure jaune, ses yeux fourbes, son affreuse voix cuivrée, et jusqu’à sa façon de prononcer monsieur Pipe (au lieu de Païpe), tout en lui m’était odieux… Et puis… et puis… il y avait une chose qui me le rendait plus odieux encore la façon dont il avait abusé d’Édith…

Ah ! décidément, Allan Dickson venait de me rendre encore un fier service… Je dis encore, car si aujourd’hui j’étais riche, c’était grâce à lui… La carte qu’il m’avait remise à la gare de Waterloo avait été le talisman qui avait opéré sur le pauvre Richard Stone un si merveilleux effet… Si je devais à Allan Dickson trois ans de « hard labour », je lui devais aussi une fortune de cent cinquante mille livres… et j’estimais que la compensation était largement suffisante… « On n’a rien sans peine », dit un proverbe français dont j’ai pu, mieux que tout autre, vérifier la justesse.

Les jours passaient et je n’avais guère, jusqu’à présent, joui de mon énorme fortune. Je vivais modestement dans ma chambre de la rue de Maistre… Sur mon palier habitait un peintre du nom de Gerbier, un grand garçon sympathique et doux, que je voyais assez souvent, et que j’aidais parfois de ma bourse, car, comme tous les artistes qui se consacrent uniquement à l’Art, il était très pauvre. Plutôt que de faire du commerce et de vendre à l’Amérique des faux Corot et des faux Carrière, il préférait manger du pain sec et boire de l’eau. Il n’y a qu’en France que l’on voit de ces héroïsmes !… Gerbier n’était pas seulement un peintre de talent, c’était aussi un remarquable violoniste, et il ne refusait point, quand je l’en priais, de me jouer les sonates de Bach, les danses de