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retiré des affaires

enterrer et payai tous les frais. Nous fûmes trois à suivre le convoi son valet de chambre, sa logeuse et moi, car l’enterrement avait lieu à neuf heures du matin, et les joueurs, en général, se lèvent fort tard. Pendant qu’un corbillard traîné par deux chevaux maigres le transportait à sa dernière demeure, sous une pluie battante, ceux qu’il avait enrichis (car Bruce avait laissé plus de quatre millions de pesetas sur le tapis) dormaient tranquillement dans une chambre bien chaude.

Sur les instances de la logeuse, une brave femme que ce suicide avait affolée, je consentis à examiner les papiers laissés par Bruce. Il n’avait pour toute famille qu’un vieil oncle éloigné qui habitait Baltimore, et avec lequel, d’après ce qu’il m’avait confié, il n’entretenait plus de relations. Je jugeai inutile de prévenir le vieux Yankee…

Bruce n’avait pas d’héritiers. Il était donc assez naturel que je gardasse tout ce qu’il possédait une montre marquée à ses initiales, deux bagues et divers papiers d’identité.

Je réglai la logeuse, ainsi que le valet de chambre, et regagnai mon hôtel. Si j’ai été guéri de la passion du jeu, c’est à ce pauvre ami que je le dois… Depuis cet affreux drame, je n’ai jamais touché une carte.

Après avoir longtemps réfléchi, je finis, non sans répugnance, par prendre une résolution qui s’imposait : me substituer au disparu… Une fois que je serais à Paris, je me ferais appeler James Bruce… Le signalement de ce joueur malheureux correspondait assez exactement au mien même figure rasée, même taille, même corpulence, même couleur d’yeux et de cheveux… Si l’on me demandait des papiers lorsque j’effectuerais mon dépôt en banque, je pourrais au moins en fournir. J’eusse préféré user d’un autre moyen, mais en attendant que je changeasse encore « d’identité », j’adopterais le nom de Bruce.

Cette importante question réglée, il me fallait gagner