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mémoires d’un cambrioleur

dirent leur estime… Je perdis même assez gros, mais je sus m’arrêter à temps.

Tous les jours, j’allais à la banque, ouvrais mon coffre, m’y enfouissais à demi, et comptais mes bank-notes.

J’avais fait la connaissance au cercle d’un jeune Américain, nommé James Bruce, qui jouait un jeu d’enfer. J’avais beau lui conseiller de se modérer, il ne m’écoutait pas, et comme la guigne le poursuivait, il finit par se ruiner. Ce qui devait arriver arriva… Un soir qu’il avait joué sur parole, il perdit cent mille pesetas.

— C’est la fin, me dit-il.

— Comment cela ? demandai-je.

— Oui, je suis arrivé au bout de mon rouleau… J’ai tenu un coup sur parole… Je n’ai plus qu’à me brûler la cervelle.

— Vous êtes fou, lui dis-je… Est-ce qu’on se brûle la cervelle pour cent mille pesetas… Venez me voir demain à mon hôtel, je vous prêterai cette somme.

— Merci, me dit-il…

Nous nous quittâmes.

Le lendemain, à mon réveil, le valet de chambre m’apportait une lettre. Je déchirai l’enveloppe et lus :

« Mon cher monsieur Flick,

« Hier soir vous avez bien voulu m’offrir cent mille pesetas. J’avais accepté, mais depuis, j’ai réfléchi… Ces cent mille pesetas, je les perdrai sûrement, car la déveine me poursuit. Je suis ruiné, et ne me relèverai jamais… Il ne me reste qu’à me brûler la cervelle, et c’est ce que je vais faire… Adieu !…

« Votre reconnaissant quand même,

« James Bruce. »

Je me levai, m’habillai à la hâte, et courus Calle del Retiro où habitait le malheureux. Je trouvai son domestique éploré, Bruce s’était tué. Pauvre garçon ! Comme j’avais été son dernier ami, je m’occupai de le faire