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mémoires d’un cambrioleur

Zanzibar et moi étions obligés, pour conserver notre équilibre, de nous cramponner à l’épontille de notre cabine.

Le bon nègre, qui naviguait depuis longtemps, et avait déjà essuyé pas mal de coups de Trafalgar, riait comme un enfant, et ne cessait de répéter :

— Ti vas voir, missié Colombo… ça joli fox-trott tout à l’heure…

J’étais loin de partager la confiance du brave garçon, car je me demandais avec angoisse si le Sea-Gull résisterait à la tempête… C’était, en somme, un bateau de plaisance, et bien qu’il parût robuste, il était à craindre que la bourrasque ne l’endommageât sérieusement… Il ne me manquerait plus que ça faire naufrage en plein Atlantique, et couler par le fond avec mon Régent.

Et la prophétie d’une vieille tireuse de cartes de Russel Street que j’avais consultée quelques années auparavant me revenait à l’esprit. Cette bonne femme, qui s’appelait miss Mowlouse, m’avait en effet prédit que j’étais menacé de périr par immersion et que, par conséquent, je devais redouter les « voyages sur l’eau ».

Si tout de même elle avait dit vrai ?…

Cependant, une chose me rassurait : ne m’avait-elle pas dit aussi que je finirais mes jours dans l’opulence… Laquelle de ces deux prédictions était la vraie ? Je ne crois guère aux prophéties des tireuses de cartes, mais le vieux fonds de superstition qui sommeille au cœur de tout homme se réveillait en moi au moment du danger. On a beau jouer à l’esprit fort, il y a des moments dans la vie où l’on est, malgré soi, hanté par ces influences singulières que M. Lloyd George, lecteur passionné du grand Will, et mystique comme tous les Gallois, désigne dans ses mémoires (encore un qui écrit ses mémoires !) sous le vocable assez abscons d’ « advertisement ».

Zanzibar, lui, qui n’était pas du pays de Galles, et n’avait jamais lu Shakespeare, ne s’embarrassait pas de semblables futilités.