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mémoires d’un cambrioleur

deux passagers du Sea-Gull étaient si tristes et si préoccupés. Évidemment, le remords ou plutôt la crainte de l’avenir commençait à les torturer. Je résolus d’user de diplomatie et de provoquer des confidences.

Pendant quelques jours, M. et Mme Pickmann se tinrent sur leurs gardes, et affectèrent une réserve qui ne pouvait durer. Ces gens étaient trop exubérants, trop bavards pour cesser brusquement de raconter des histoires. Peu à peu, ils redevinrent aussi loquaces, la femme surtout, et nous reprîmes, en jouant aux cartes, nos petites conversations.

Mme Pickmann adorait le poker et tous les soirs, après dîner, me provoquait à ce jeu, au grand mécontentement de son mari qui aurait préféré faire une partie d’échecs…

Tout en taquinant les cartes, nous buvions, bien entendu et vers minuit, Mme Pickmann — ma petite Dolly, comme l’appelait son époux — était généralement grise. Alors, elle bavardait comme une pie borgne et me documentait peu à peu sur son existence passée… J’appris ainsi que son mari (ou du moins l’homme à qui elle donnait ce nom) avait occupé une situation dans une grande banque de Londres. À cette époque, le couple ne devait pas rouler sur l’or, puisqu’il habitait dans les environs de Soho Square, quartier qui n’a rien d’aristocratique. Ils n’avaient même pas de bonne et c’était Dolly qui faisait la cuisine et lavait la vaisselle…

Cette dernière confidence, qui était au moins imprudente, valut à Mme Pickmann, de la part de son mari, un coup d’œil irrité, mais la bavarde, très allumée par le whisky, n’en continua pas moins à étaler devant moi les petites misères de sa vie d’antan.

— À quoi bon se gêner devant Colombo, dit-elle, n’est-il pas notre ami ? D’ailleurs nous n’avons pas à nous en cacher, nous n’avons pas toujours été riches… Avant de devenir millionnaires, nous avons joliment tiré le diable par la queue…