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retiré des affaires

la cale, c’est moi qui fus désigné par le capitaine pour le remplacer. Mon service consista donc à servir à table les deux mystérieux personnages qui étaient, on le sait, les vrais maîtres du navire.

La première fois que je parus devant eux, mes plats à la main, ils me regardèrent avec méfiance. À la longue, ils s’habituèrent à moi et devinrent même très familiers, ce qui dénotait chez eux un manque complet d’éducation. Sûrement, ce gentleman n’était pas un lord, comme le prétendait l’Irlandais. C’était un individu quelconque, aux gestes gauches, à la physionomie commune et totalement dépourvu d’élégance bien qu’il soignât beaucoup sa personne et se parfumât à outrance. On voyait du premier coup d’œil que cet homme-là n’avait pas toujours eu de la fortune. Il avait dû s’enrichir tout d’un coup, soit par quelque spéculation heureuse, soit par quelque entreprise louche… ou peut-être par une colossale escroquerie.

Quant à la femme qui était assez jolie, mais maquillée comme une fille, elle était digne de son seigneur et maître. Elle fumait les coudes sur la table et bavardait à tort et à travers, avec une voix cassée de noceuse.

Ils m’appelèrent d’abord M. Colombo, puis Colombo tout court, et enfin « mon petit Colombo ».

Ils devinrent même avec moi d’une telle liberté que je fus, une fois ou deux, obligé de leur faire respectueusement observer qu’ils allaient un peu loin. Ils n’en continuèrent pas moins à plaisanter avec moi de façon stupide. Ils me posaient une foule de questions indiscrètes, me forçaient à boire avec eux et bientôt, après leur dîner, ils me retinrent à jouer aux cartes. Dès lors ce furent d’interminables parties et je devins le commensal de ces gens louches.

J’avais d’abord résisté à leurs sollicitations, par crainte du capitaine, mais quand je m’aperçus que ce dernier me traitait avec plus d’égards, depuis que j’étais l’ami de ses passagers, je profitai largement de leur hospitalité