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retiré des affaires

m’avait présenté, je demandai au colosse s’il désirait que je lui rendisse quelque service.

Il secoua négativement la tête.

Pendant près d’une heure, nous demeurâmes en face l’un de l’autre, sans parler. Cardiff, toujours assis sur sa caisse, moi, debout devant lui. De temps à autre il me décochait un regard en dessous, puis retombait dans son assoupissement de brute.

Quel singulier type que ce maître d’équipage sous les ordres duquel j’allais me trouver désormais ! Tout d’abord, je l’avais pris pour un Gallois, mais à quelques mots qu’il prononça enfin je reconnus qu’il était Écossais.

Lorsqu’il eut fumé deux pipes, il se leva, mais il était tellement grand qu’il était obligé de marcher en baissant la tête, car l’endroit où nous nous trouvions n’avait pas plus d’un mètre soixante-quinze de hauteur et Cardiff, je l’ai dit, était un géant. Après avoir tourné dans la chambre, il sortit d’un équipet une grosse bouteille verte, la déboucha lentement, puis en porta le goulot à ses lèvres. Quand il remit le bouchon, une forte odeur de gin se répandit dans la pièce. Cardiff me regarda ; ses yeux gris luisaient comme des projecteurs et son affreux visage avait maintenant une expression étrange.

Il ralluma sa pipe et reprit son impassibilité de Bouddha.

Je commençais à trouver le temps long en compagnie de ce marin silencieux, lorsqu’un coup de sifflet retentit soudain sur le pont du navire.

Cardiff eut un grognement, s’étira en faisant craquer ses énormes membres, puis se dressa, comme à regret, en disant :

Come, mate ! [1]

Et il me poussa doucement devant lui.

Ce qui me surprit, ce fut que Cardiff m’appelât mate. Ce mot, en argot maritime, signifie camarade, et n’est guère

  1. Viens, camarade.