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retiré des affaires

lucide et, de nouveau, prêt à la lutte. La catastrophe qui s’est, la veille, abattue sur moi me semble lointaine… lointaine, et je me demande même comment elle a pu un instant troubler mon esprit.

Le lendemain du jour où j’avais appris en même temps, et la brusque disparition d’Édith, et celle de mes deux mille francs, j’étais plus calme que jamais.

Je m’habillai avec soin, me fis du thé, puis je m’assis dans un fauteuil, ma Bible entre les mains.

Cela vous étonne peut-être qu’un cambrioleur lise la Bible ?

Et pourquoi ne la lirait-il pas ? Est-il défendu à un homme, à quelque catégorie qu’il appartienne, de chercher des conseils dans les livres saints ?

J’en connais qui font de la Bible leur livre de chevet et ne valent pas mieux que moi, bien qu’ils jouissent dans notre trompeuse société d’une réputation inattaquable…

En somme, tout n’est-il pas convention en ce monde ?

L’homme de loi qui passe sa vie à spolier des héritiers, le financier qui ruine des centaines de petits rentiers, le marchand qui vend ses denrées le triple de ce qu’il les a payées et trompe encore sur le poids, l’individu taré qui épouse une femme pour sa fortune, le député qui trafique de son mandat pour patronner de louches entreprises et toucher des pots-de-vin en secret, ces gens-là sont-ils moins méprisables que le cambrioleur qui dérobe au Louvre un des Diamants de la Couronne ?

Puisque l’argent est le but de la vie et que l’on n’est pas encore arrivé à le supprimer, ne faut-il pas que l’on s’en procure ? Et tenez, puisque je vous parlais de la Bible… écoutez le conseil sur lequel je viens justement de tomber :

« La fortune est pour le riche une ville forte ; la ruine des misérables, c’est leur pauvreté[1]. »

Est-il rien de plus juste ?

  1. Proverbes, X, 15.