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retiré des affaires

Une voiture, suivie presque immédiatement d’une autre, venait de stopper le long du trottoir.

Cette fois, j’étais perdu, car j’allais me trouver en présence de Manzana et le drôle me reconnaîtrait bien, lui…

Il ouvrit la porte du bar et je l’entendis qui disait, de son affreuse voix cuivrée :

— Mesdames, donnez-vous la peine d’entrer… Je vous offre une collation avant de vous conduire à bord…

Cinq malheureuses femmes en toilettes fripées firent leur apparition… et je compris tout. C’étaient là les « cailles » dont parlait le capitaine Wright. Bill Sharper était allé les chercher à Paris et Manzana en avait pris livraison à la gare.

Ces pauvres filles, alléchées par la promesse d’une situation lucrative à l’étranger, et poussées par l’amour des voyages qui sommeille au cœur de toute femme, avaient répondu à l’annonce lancée par les « trafiquants » et allaient dans quelques heures s’embarquer pour des régions inconnues, où les attendaient sans doute les pires surprises.

On voit à quel degré d’avilissement en était arrivé Manzana pour oser faire un commerce semblable.

Mais que penser aussi de ce capitaine Wright qui devait sans doute, lui aussi, toucher une jolie commission sur les « cailles »…

Décidément, quoique je ne fusse pas ce que l’on appelle un parangon de vertu, je m’estimais cependant bien au-dessus de tous ces misérables… Ce qui prouve que l’on peut être un cambrioleur sans avoir pour cela cessé d’être, au fond, un brave homme.

Après avoir fait asseoir ses cinq cailles devant une petite table de marbre, Manzana leur servit des sandwiches, des pickles et de la bière, puis il s’approcha de Bill Sharper toujours debout, avec moi, devant le comptoir…

— Et la traversée ?… elle a été bonne, demanda-t-il.