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mémoires d’un cambrioleur

famé où les marins en bordée vont faire un peu de boucan avant de se rembarquer. C’est une étroite construction précédée d’un long couloir dans lequel on rencontre les demi-mondaines du Wapping. La salle, garnie de bancs à dossier solidement scellés au parquet, est flanquée d’une galerie, sorte de promenoir demi-circulaire où l’on peut consommer pour six pence des boissons frelatées.

Ce soir-là, c’était « great event »… On annonçait les débuts d’une chanteuse qui avait modestement pris le nom de « miss Nightingale », c’est-à-dire « Mlle Rossignol ».

Des affiches la représentaient avec un corps d’oiseau et les boniments les plus outranciers la désignaient à la curiosité des spectateurs, comme « une des étoiles les plus brillantes du firmament artistique ».

En compagnie de Dick et de Funny, je pris place aux premiers rangs et, comme le spectacle ne commençait pas assez vite, nous donnâmes le signal du « branle-bas ».

Immédiatement, des centaines de pieds chaussés de gros souliers à clous se mirent à frapper en cadence les planches du parquet, d’où monta bientôt une poussière jaune, aussi opaque, aussi épaisse qu’un brouillard londonien.

L’orchestre préluda enfin par la « Marche des Joyeux Garçons de Southwark », et toute la salle reprit en chœur le refrain :

With his nancy on his knee,
And his arm around her waist

Une gaieté folle s’était emparée de la salle entière, et les spectateurs hurlaient avec une telle force que l’on n’entendait plus la musique dans laquelle cependant dominaient les instruments de cuivre.

Enfin, la partie de concert commença. Le public emballé par le nom de « Miss Nightingale » la réclamait à grands cris et les modestes chanteuses qui précédaient. la grande étoile ne parvenaient pas à se faire entendre.