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retiré des affaires

Ainsi, à peine rendu à la liberté, j’étais déjà la risée des gens de police !…

Ce premier contact avec le monde « civilisé » m’avait désagréablement impressionné, mais je n’étais pas au bout de mes surprises.

Un peu plus loin, un bon bourgeois tenant par la main un petit garçon me désigna au gamin qui fixa sur moi des yeux effarés. Sur le pas des portes, les boutiquiers me regardaient avec mépris, et j’entendis l’un d’eux dire à son voisin :

— On les relâche donc tous à la prison de Reading… cela promet… la rubrique des faits divers ne chômera pas…

— Je trouve, répondit un autre, que l’on est trop indulgent pour ces oiseaux-là… Si j’étais quelque chose dans le gouvernement, je proposerais une bonne loi qui nous débarrasserait pour longtemps de canailles pareilles…

La voilà bien la charité sociale ! Un homme sort de prison, il ne trouvera personne pour lui tendre la main… personne ne l’aidera à se relever. Il expiera sa réhabilitation plus durement que son crime. Et l’on s’étonne après cela qu’il y ait tant de récidivistes !…

J’étais, je l’avoue, quelque peu refroidi, et moi qui avais quitté Reading avec de bonnes pensées plein la tête, je commençais à sentir la haine s’amasser dans mon cœur.

En passant devant la glace d’une devanture, je me regardai à la dérobée et j’eus peine à me reconnaître.

Comment ! c’était moi, cet individu grotesque et repoussant… C’était moi cet affreux chemineau, à la peau couleur safran, aux yeux caves et farouches, à l’allure minable et inquiétante… Ah ! je comprenais maintenant pourquoi tout le monde me regardait… Je mettais une tache sombre sur la gaieté de la ville… Pour ces gens paisibles, j’étais le vagabond dont il faut se méfier, le spectre du Mal, l’homme prêt à tout, le fauve redoutable sorti de la Ménagerie de Reading !…