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mémoires d’un cambrioleur

a porté, pendant près de trois ans, la combinaison ornée de fleurs de trèfle qui est l’uniforme des prisons anglaises, on n’a pas le droit de se montrer difficile. D’ailleurs on arrive, après un long séjour en cellule, à ne plus avoir, faute de glace, la notion de l’élégance.

Lorsque je franchis le seuil trop hospitalier de la prison de Reading et que je me trouvai dans la rue, que je vis autour de moi des hommes, des femmes, des enfants, des chiens, des chevaux, des autos, je demeurai un instant ébloui, comme un hibou surpris par l’aurore, mais presque aussitôt, je me ressaisis et jetai un rapide coup d’œil autour de moi.

Bientôt, j’eus un soupir de satisfaction… car je venais d’acquérir la certitude que Manzana n’était point parmi les passants qui m’environnaient… Cela m’encouragea à me rendre à Londres. C’était encore là, ma foi, que je serais le plus en sûreté.

— Pardon !… la gare ?… demandai-je avec une extrême politesse à un gros policeman qui trônait au milieu d’un refuge, comme un Bouddha sur un piédestal.

L’homme eut un regard ironique et répondit en me toisant des pieds à la tête :

— Ah ! ah !… on sort du bocal, hein ?… Riche idée… voici la belle saison !… Et alors, comme cela, on retourne à Londres voir ses amis !… et on va s’en donner tant que ça pourra jusqu’à ce qu’on revienne ici.

— Pardon, sir, répondis-je très digne, je vous ai demandé le chemin de la gare…

Le policeman s’inclina cérémonieusement :

— Gentleman… excusez-moi… vous êtes sans doute le prince de Galles… pardon !… je m’étais mépris… tout le monde n’est pas physionomiste… La gare ?… elle est là, devant vous, mais je dois prévenir Votre Excellence que le train de Londres vient de partir… et que le prochain est à cinq heures cinquante-quatre…

« Imbécile ! » pensai-je en tournant les talons…