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mémoires d’un cambrioleur

Moi, qui avais réussi les plus dangereux cambriolages, moi qui avais toujours glissé avec une adresse merveilleuse entre les mains de la police, j’étais arrivé à me faire prendre, comme le dernier des débutants, à l’heure même où j’avais si vaillamment gagné ma retraite !

Je finissais par croire qu’il y a, sur terre, une somme de bonheur dont on peut disposer, à un certain moment de la vie, mais que l’on ne retrouve jamais, une fois qu’on l’a épuisée. J’avais, comme on dit, mangé mon pain blanc en premier… Maintenant, je goûtais au pain amer de l’adversité. Ma vie d’aventures avait pris fin, et au lieu des espaces ensoleillés prometteurs de délices infinies, dont je rêvais encore, quelques semaines auparavant, je voyais se dresser devant moi un grand mur sombre, infranchissable, dont la crête se perdait dans le ciel gris.

Ma pensée se reportait sans cesse au cimetière de Reading où dormait mon pauvre Crafty et il me semblait entrevoir, au milieu des herbes folles, une petite croix de bois noir avec cette courte inscription en lettres blanches :

Here lies Edgar Pipe[1]

Je me faisais l’effet d’un vieillard accablé d’infirmités, qui souhaite la mort afin de ne plus souffrir…

Quand on en est arrivé à ce fâcheux état d’esprit, rien ne saurait plus vous émouvoir.

Il y eut encore une exécution à Reading, celle d’un nommé « 148 », qui avait, dans un accès de rage, étranglé un geôlier. Eh bien ! le croirait-on ? j’enviai le sort de ce condamné.

Le pasteur m’avait pris en pitié. Il venait, chaque jour, me lire la Bible, mais cette lecture, au lieu de me consoler, me rendait fou furieux… On voit à quel degré de mécréance j’étais descendu.

— Mon fils, me dit un soir le ministre, je considère que mes visites sont inutiles…

  1. Ci-gît Edgar Pipe.