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retiré des affaires

tuer ! » Supposez qu’on le laisse croupir dans ce bouge, il ne se tuera pas et s’accoutumera même peu à peu à cette ambiance de pourriture et de misère.

S’il en était autrement, les hôtes de la geôle de Reading pourraient-ils résister cinq ans… et même dix ans, à leur terrible claustration ?

Je recevais parfois, comme les autres détenus, la visite de l’aumônier, le révérend Mac Laughan, mais tout ce qu’il me disait, au lieu de me réconforter, me plongeait dans une tristesse profonde. Sa voix monotone, ses gestes pleins d’onction, ses révérences, sa façon même de lever l’index vers le plafond, en prononçant le nom du Très Haut, finissaient par m’horripiler, et j’attendais avec impatience le moment où il regagnerait la porte.

On voit à quel point d’affaiblissement j’étais arrivé… J’eusse préféré quelques ronds de saucisson et un verre de stout à tous les conseils spirituels du brave homme.

Il remarqua sans doute le peu d’attention que je prêtais à ses discours, car il ne revint plus et je m’aperçus qu’à partir du jour où il cessa ses visites, les gardiens se montrèrent immédiatement plus sévères et plus injustes. Sans doute leur avait-il confié que j’étais un individu de la plus basse espèce, un de ces criminels endurcis que la religion. elle-même est impuissante à relever.

Je fus dès lors classé dans la catégorie des « sauvages » et traité comme un vulgaire Botocudo.

Un jour, je m’en souviens, le directeur de la prison vint me voir dans ma cellule.

C’était un gentleman en jaquette noire et gilet blanc, très haut sur jambes et affligé d’un tic ridicule de la face.

— Numéro 33, me dit-il, en clignant de l’œil et en ramenant sa bouche vers son oreille… vous êtes, paraît-il, un incorrigible…

Son œil reprit sa place normale, mais sa bouche fut agitée d’un petit mouvement de gauche à droite qui me fit pouffer de rire.